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Emmanuelle Leblanc : “Cela me plaît de mettre en doute la pratique de la peinture”

© Olivier Giboulot

Rencontre avec Emmanuelle Leblanc, une artiste peintre située à mi-chemin entre figuration et abstraction qui, partie de la pratique du portrait, déploie aujourd’hui un minimalisme abstrait. Cette artiste est représentée par la galerie Archiraar à Bruxelles et curate par ailleurs des expositions depuis 2013. Découvrez ici son univers atmosphérique et ses variations chromatiques qui font parfois oublier la présence de la main de l’artiste. 

Pourriez-vous nous parler de la résidence à laquelle vous avez pris part en Inde ? Quel impact cette expérience a-t-elle eu sur votre travail ?

Mes inspirations chromatiques avant Inde et post-Inde sont assez différentes. Avant l’Inde, il y a beaucoup d’atmosphères célestes, des gris, des gris colorés, des nuances sourdes, très peu de couleurs vives, à part peut-être les jaunes, qui sont présents depuis le début de mon travail. C’est la couleur symbolique de la lumière après tout ! L’Inde, c’est la culture de la polychromie. Les usages de la couleur y sont complètement étrangers aux nôtres. Cela crée un véritable choc. Dans une rue indienne, il y a bien sûr les couleurs qui marquent la rétine mais il y a aussi tout un complexe de sensations qui sont misent en éveil et ceci de manière très intense. On ne revient pas intacte de ce genre de voyage. J’ai vu là-bas des choses à la fois kitsch et sublimes. C’était une résidence de production et d’exposition dans une grande galerie. J’ai débuté sur une séquence de petits tableaux aux tonalités de blancs appelée White Dust, dans la continuité de ma série intitulée La Ligne de peinture. Parvenue plus tard à me libérer un peu de mes schémas chromatiques d’occidentale, j’ai fini par me passionner pour des couleurs que j’avais auparavant bannies de ma palette, notamment des verts viridiens, des oranges safran, des roses tyriens, etc. L’exposition de restitution de ma résidence en Inde, peacock song, possède des couleurs très vibrantes et un déploiement de toute cette gamme.

© Barbara Fecchio

Selon vous, que représente une galerie dans le travail d’un artiste ?

La galerie représente une sorte de label auquel l’artiste est associé. Je suis très contente d’être représentée par la galerie Archiraar. Elle possède une ligne artistique cohérente, sensible et complète au niveau des propositions et des différents médias représentés. Au-delà de ça, il s’agit d’une relation amicale établie dans le temps. Il n’y a pas qu’un rapport marchand. Je suis en relation avec la plupart des artistes de la galerie, il y a comme une affinité élective. Le directeur de la galerie, Alexis Rastel, est architecte de formation et possède donc une sensibilité particulière pour la scénographie et la mise en espace des œuvres. Il a conçu notamment deux espaces distincts pensés pour expérimenter différentes réceptions des œuvres : un white cube et un black cube. En plus de cela, Archiraar participe à des foires internationales, ce qui apporte davantage de visibilité. C’est aussi l’avantage de faire partie d’une galerie de ce type.

La galerie Archiraar à Bruxelles

Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à vous diriger peu à peu vers l’abstraction ?

Mes premiers tableaux étaient des portraits. On pourrait penser qu’il y a un grand écart entre ce que je faisais au début et ce que je fais maintenant, mais il y a finalement toujours un lien avec la lumière. Dans ces portraits, il y avait déjà un travail autour du clair-obscur. Le fond était déjà cette surface quasi monochrome : opaque ou réfléchissante. La représentation de la lumière était déjà présente. Aujourd’hui, elle est devenue mon motif principal. Je pense que c’est ce qui fait le noyau de mon travail actuel : la lumière dans ses infinies manifestations, ses variations, ses mouvements. Et cela va de l’obscurité à l’éclat. Je regarde beaucoup le ciel depuis quelques années. Les phénomènes lumineux optiques et atmosphériques m’intéressent énormément. On retrouve cela dans les débuts de la série des Diffuses bien sûr mais aussi dans les Photométéores, qui sont des arcs-en-ciel et dans les représentations de Phosphène, que l’on pourrait comparer à des acouphènes visuels. Je me suis concentrée sur l’illusion de ces phénomènes. Il y a bien sûr un lien avec la photographie. La photographie, qui est littéralement l’écriture de la lumière, accompagne tout le temps mon travail. C’est un média que j’utilise beaucoup en amont de la production peinte, cela me sert presque d’esquisse. Ça me plaît de mettre en doute la pratique de la peinture.

© Olivier Giboulot

Vous êtes cofondatrice du projet “Pleonasm”, quel est le concept de ce dernier ?

Il s’agit d’un projet que j’ai conçu avec une amie française qui vit depuis 15 ans en Belgique, Michèle Rossignol. Sans être arrêté, c’est un projet qui est un peu mis entre parenthèses pour l’instant. Je me suis plus concentrée sur mon travail artistique ces derniers temps. Nous avons créé une association franco-belge qui se veut plateforme européenne de production et de diffusion d’artistes contemporains. C’est un projet qui s’articule autour de trois axes : la mobilité (il y a une nécessité des artistes de bouger, de ne pas rester dans l’entre-soi), la collaboration et le temps. Le temps est assez important pour nous. Nos projets d’expositions peuvent se déployer sur plusieurs années. À travers le cœur de notre projet intitulé Phosphène, nous voulions créer une exposition à dimensions variables qui puisse être amenée sur différents territoires… mais aujourd’hui, au vu de ce qui nous arrive, la mobilité est fortement compromise. Il va nécessairement falloir penser d’autres formes de mobilités ou de monstrations.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai plusieurs projets en cours, parmi lesquels Shine !, un projet en Inde où je suis invitée à revenir durant l’hiver 2020, par une institution française. J’ai envie par rapport à cette invitation, de ne pas m’investir dans un espace conventionnel d’exposition mais de m’ouvrir à l’urbain. Le projet est une exposition de portraits à grande échelle de femmes indiennes. Des portraits certainement réalisés dans une technique mixte de photographie retouchée en peinture, un peu comme pour les affiches bollywoodiennes. J’aimerais fusionner certains codes de la peinture européenne avec ceux de la peinture indienne. Cela m’intéresse de mettre en lumière des femmes dans un espace urbain plutôt réservé et arpenté par les hommes. Mais pourra-t-on encore se déplacer si loin à cette période ? La question reste en suspens…

Plus d’informations sur le compte Instagram et le site internet de l’artiste.

Propos recueillis par Juliette Dutranoix

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